Une grande partie du Forum des Idées du 16 mars à Puteaux, consacré à l’exemplarité en politique, était réservé aux échanges avec le public. Les questions étaient nombreuses, et elles ont permis à Eva Joly et Eric de Montgolfier de développer des thèmes variés.
Que peut faire le citoyen pour faire progresser la transparence de la vie publique ? Nous avons l’impression d’être comme des colibris qui porteraient chacun une goutte d’eau pour éteindre un incendie.
Eric de Montgolfier : Il est important de se rappeler que nous sommes en démocratie. N’attendez pas de nous une solution toute faite. Même si la première étape c’est sans doute d’aller voter. Malheureusement, pour aller plus loin, le citoyen se heurte à la complexité de la justice. Ce n’est pas normal.
Par ailleurs, une autre difficulté en France vient du fait que nous n’avons pas de vraie tradition démocratique. Le démocratie française est très jeune. Et encore aujourd’hui, nous avons tendance à aller chercher la protection du Prince. Pour l’intérêt général, il faut savoir renoncer à son intérêt particulier.
En France, on a une forme d’acceptation de choses insensées. On entend souvent “oui, j’ai détourné des fonds publics, mais il n’y a pas eu d’enrichissement personnel”. Juppé par exemple. Alors ça va. Mais jamais un voleur ne dit “j’ai volé, mais c’était pour ma grand-mère, je ne me suis pas enrichi” ! Pourquoi accepter si facilement ces arguments stupides ?
Eva Joly : Il y a effectivement une tendance à la soumission en France, qui m’a toujours étonnée. Ce n’est pas le cas en Norvège par exemple, mon autre pays, qui n’a jamais connu de noblesse. Pour les Norvégiens, l’histoire des Hauts-de-Seine ou l’histoire de Fillon sont inconcevables. Lisez la presse internationale !
Ne pensez-vous pas que la présomption d’innocence soit bafouée dans des affaires telles que celle de Fillon ?
Eva Joly : Il y a une grande confusion autour de la notion de présomption d’innocence. Cela veut dire que seul un tribunal peut déclarer quelqu’un coupable. Mais ça ne veut pas dire que les faits ne peuvent pas heurter notre conscience. Cela ne veut pas dire que l’exigence de probité ne demande pas la démission d’élus tels que Joëlle Ceccaldi-Raynaud ou l’abandon de François Fillon. Ils se cachent derrière cette notion, évidemment très importante dans la protection des droits, mais c’est un paravent ! Elle devient une protection des élus corrompus.
C’est aux partis politiques d’agir. Les Républicains voulaient initialement investir Patrick Balkany pour les législatives ! Heureusement que la pression populaire l’a empêché.
La circulation des personnes entre la haute fonction publique et le privé ne favorise-t-elle pas les conflits d’intérêts et les risques de corruption ?
Eva Joly : On appelle ça les “revolving doors”. Le droit français la réglemente. Vous ne pouvez pas rejoindre une entreprise si votre poste intérieur vous a fait prendre des décisions concernant cette même entreprise. Mais on a l’exemple de François Pérol, qui a conseillé Nicolas Sarkozy sur la fusion des Banques Populaires et des Caisses d’Epargne et qui a pris la tête de BPCE. Cette affaire va à nouveau être jugée prochainement, on espère avec un peu de bon sens.
A l’échelle européenne, il y avait un délai de carence de 18 mois, qui a été porté à 36 mois après que l’horrible Barroso est passé chez Goldman Sachs. Jean-Claude Juncker n’a rien trouvé à dire d’autre que : “ça respecte les traités”. C’est une absence de sens de responsabilité.
L’Union Européenne va-t-elle vraiment réagir à son niveau ? Par de nouveaux textes sur l’optimisation fiscale par exemple ?
Eva Joly : Le problème de l’Union Européenne, c’est qu’à sa tête il y a Jean-Claude Juncker, ancien premier ministre du Luxembourg, qui est la plaque tournante de la fraude fiscale en Europe. Par exemple, pour le LuxLeaks, on n’a pu faire la commission d’enquête que parce que nous avions un appui citoyen incroyable. On parle de centaines de milliers de citoyens. C’est grâce à ce mouvement populaire et aux ONG que nous avançons. Ce qu’il faut comprendre, c’est que cette fraude fiscale ne serait pas possible sans les banques. La Société Générale, par exemple, mise en cause dans les Panama Papers.
Concernant l’optimisation fiscale en particulier, il faut le CCTB, un impôt global sur l’entreprise et ses filiales. Il faut également un taux fiscal identique entre les pays européens. C’est compliqué à mettre en place, mais c’est la seule solution.
Eric de Montgolfier : Il y a quand même quelques possibilités d’espoir. Dans le programme de Benoît Hamon, vous avez peut-être vu une liste de proposition. Mais il y a une logique d’ensemble.
Il faut déjà connaître l’identité de ceux qui payent les campagnes des candidats aux élections. Parce que ceux qui payent, ce sont ceux qui vont attendre des contreparties ensuite. Le lobby, en anglais, veut dire couloir. C’est ce qui se passe dans les couloirs. C’est l’inverse de la transparence !
Benoît Hamon propose aussi le procureur européen. C’est important, au-delà de la référence à l’Europe même si c’est important aussi. Ce procureur européen aurait la capacité de donner l’injonction à des procureurs nationaux d’engager des poursuites. Il serait au-dessus des Etats, il serait insensible aux pressions.